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À une époque où l'image semble avoir rendu tous les territoires accessibles, de cartes google à d'infinis blogs amateurs tumblr, de guides touristiques à des émissions télévisées d'explorations pixellisées, voyager semble prétendre à un nouveau statut. En 1984, Paul Virilio dans L'espace critique décrivait déjà un monde transparent, alors que l'humanité était plongée dans un état où le visible devenait l'égal de la visibilité, chaque partie de cette planète étant désormais enregistrée sous forme de données, fournissant une situation métaphysique offrant aux hommes la possibilité d'un accès à l'infini alors que tous les territoires étaient rendus visibles. Comment dès lors et dans ces circonstances rencontrer l'ailleurs, et le concept de l'ailleurs peut-il être encore pertinent aujourd'hui ?

Le travail d'Adrien MISSIKA est à trouver au point de rencontre -et de rupture- entre l'expérience du voyage et les représentations de l'exotisme, à la croisée de l'iconographie publicitaire et de l'investissement subjectif. Au travers d'un vaste champ de médiums, de la photographie à la vidéo, de la sculpture à l'installation, l'artiste enregistre ses explorations lors de voyages aux USA, à Hawaii, au Turkménistan, en Inde, en Russie, au Liban, au Brésil, pour n'en citer qu'une partie. Le travail d'Adrien Missika défie, -autant qu'il joue avec- le vocabulaire publicitaire et les systèmes visuels développés par l'industrie du voyage. La publicité se nourrit de fétiches et de totems encourageant les perceptions exotiques et réduisant ce si convoité inconnu à un certain nombre de signes intemporels tels que les palmiers, les vagues, le soleil, faisant de ces signes une cosmogonie caricaturale, partielle, voire populiste.
Voyager, pour Adrien MISSIKA, est plutôt une voie de résistance à ces perspectives et représentations aplaties. L'artiste inscrit ses scénarios dans la chronologie de l'ailleurs, introduisant la subjectivité et l'étrange dans ce territoire, pervertissant temporairement l'état des représentations de ces espaces. Quand le monde est devenu "transparent", une voie de réappropriation reste l'injection de nouveaux phénomènes de perception, l'occultation et le brouillage de leur lecture immédiate, l'intégration de nouvelles formes dans ces paysages.

Des ruines, des pierres mouvantes, un palmier solitaire, un circuit de course abandonné, une mouche, ou la promenade d'une âme solitaire dans le dôme libanais de Niemeyer forment un ensemble de personnages proche de l'absurde. Les images sont froides, distantes, et construisent un scénario grâce aux éléments trouvés sur place, loin d'une efficacité et d'un objectif de rendement publicitaire. L'artiste présente des objets liminaux assis entre deux temps, proches de l'anachronisme.

Le travail d'Adrien MISSIKA ne vérifie pas, il ne valide pas, il ne témoigne pas non plus. Il réincarne l'ailleurs avec subjectivité et singularité, jouant avec les techniques traditionnelles de l'enregistrement. Dans l'atelier, son travail consiste à réinterpréter et capturer les formes et les logiques de cet ailleurs, de manière spéculative. Loin de la transparence, Adrien MISSIKA déforme les visions, biaise la contemplation, et transforme artificiellement la perception. Ses images sont plutôt l'empreinte de l'activité d'une usine interne, les traces d'une psyché utilisant comme terrain de jeu les visions du lointain pour mieux sonder l'étrangeté de son propre territoire.

Rebecca Lamarche-Vadel