Julian Charrière
11/04/2015 > 30/05/2015

Vernissage le 10/04/2015, de 19h à 21h

Pour sa première exposition personnelle à la galerie Bugada & Cargnel, intitulée Polygon, JULIAN CHARRIÈRE (CH / F, né en 1987 à Morges, vit et travaille à Berlin) présente un ensemble d'œuvres rendant compte d'une géo-archéologie du futur, et représentant chacune un "âge du monde" différent. Ces œuvres agrègent divers éléments qui renvoient à ce que le philosophe contemporain Timothy Morton nomme des "hyper-objets" : des entités dont l'échelle temporelle ou physique dépasse notre entendement.

Inspiré par une nouvelle de J.G. Ballard, La Plage ultime, JULIAN CHARRIÈRE s'est rendu sur le polygone nucléaire de Semipalatinsk, au Kazakhstan, pour y réaliser la vidéo Somewhere et la série de photographies Polygon. Premier et principal site des essais nucléaires de l'URSS, c'est là qu'explosa la première bombe atomique soviétique en 1949, suivie jusqu'en 1989 de 455 autres, soit une puissance explosive totale 2'500 fois supérieure à celle de la bombe d'Hiroshima. Alternant plans de jour et de nuit, la vidéo Somewhere dévoile dans ses longs travellings silencieux la steppe hautement irradiée et inanimée du polygone, parsemée de structures de béton jadis construites pour étudier les effets du souffle nucléaire. Ces monolithes désormais inutiles, qui ont résisté à des centaines d'explosions nucléaires, sont appelés à devenir les monuments involontaires de l'ère de l'atome, gardant trace de celle-ci même une fois qu'elle sera révolue. Somewhere est une incursion dans les relations réciproques entre l'humain et l'environnement, et dans les modifications topographiques, constructives aussi bien que destructives, qui en résultent.Les photographies de la série Polygon ont été prises sur place en format analogique, et soumises au moment de leur développement à des radiations au contact d'échantillons de sable contaminé provenant du même site. Elles donnent ainsi à voir à la fois le site lui-même et la trace tangible des effets de la radioactivité.

Future Fossil Spaces s'inscrit dans une réflexion générale de JULIAN CHARRIÈRE sur l'ère digitale, et les matériaux qui permettent l'avènement de cette époque de dématérialisation croissante. Les fossiles dont il est question dans le titre ne se réfèrent pas à quelque trace animale ou végétale saisie dans la roche, mais à l'étymologie latine du mot, qui signifie littéralement "obtenu en creusant". Ces trois œuvres sont en effet des colonnes dont les briques de sel proviennent du salar d'Uyuni. Ce désert de sel, le plus vaste du monde, situé sur les hauts plateaux de Bolivie, représente un tiers des réserves de lithium de la planète, encore largement inexploitées mais qui devraient dans les prochaines décennies en faire le principal site de production de ce métal. Le lithium y est surtout concentré dans la saumure, solution aqueuse salée, qui se trouve sous la couche de sel de surface. La saumure est pompée, placée dans des bassins de décantation découpés dans la croûte de sel, où elle se concentre pendant un an par évaporation, avant que n'en soit extrait le lithium. Ce sont justement des blocs extraits du sol pour creuser ces bassins que JULIAN CHARRIÈRE a récupérés, taillés et empilés pour construire ces totems de l'ère digitale, dont le lithium, composant des batteries des appareils électroniques, est un élément clef. Assemblés, les blocs de sel évoquent des strates géologiques, et le temps écoulé nécessaire à la formation du lithium.

Tropisme est une monumentale vitrine frigorifique dans laquelle sont exposées des plantes figées dans une gaine de glace. Ces fougères, orchidées et succulentes font partie des plus anciennes familles de végétaux présentes sur Terre, puisqu'elles ont survécu à la grande extinction de la fin du Crétacé, il y a environ 65 millions d'années, qui a vu la fin des dinosaures non aviens et de nombreuses autres espèces d'êtres vivants. Témoins de temps très anciens qui dépassent et de loin l'échelle de l'humanité, fossiles vivants dont l'ADN a traversé les âges et les glaciations, JULIAN CHARRIÈRE cryogénise ces plantes pour les conserver dans un présent éternel – comme si le temps pouvait être arrêté, et les plantes, protégées des forces d'entropie et de décomposition, archivées pour le futur. Cette œuvre est aussi inspirée par le roman de science-fiction Le Monde englouti de J.G. BALLARD, qui imagine la Terre revenue à une faune et une flore identiques à celles de la Préhistoire, hostiles pour les êtres humains, eux-mêmes dominés par leur "cerveau reptilien" et tentés par une régression vers un état primitif. Ces plantes, qui sont aussi de celles que nous avons adoptées dans notre environnement quotidien comme plantes d'intérieur, gardent près de nous une sorte de mémoire de ces temps primitifs.