Pierre Bismuth
12/09/2013 > 12/10/2013

Vernissage le 12/09/2013, de 19h à 21h

L'exposition Jugement civil no 71/2013 présente un ensemble d'œuvres de PIERRE BISMUTH (né en 1963 à Paris, vit et travaille à Bruxelles) demeurées invisibles depuis 2006. En effet, suite à la décision de l'artiste de mettre fin à sa collaboration avec une de ses galeries de l'époque, celle-ci s'était engagée dans un conflit en retenant abusivement ces travaux. Ce n'est qu'à l'issue d'une procédure de plusieurs années qu'un tribunal civil a tranché en faveur de l'artiste et condamné la galerie à lui restituer ces œuvres, qui ont alors pu sortir de leur oubli forcé et sont montrées ici dans leur intégralité. L'exposition met en lumière avec facétie un aspect habituellement caché des relations entre acteurs du monde de l'art.

Parmi les œuvres présentées, deux sont liées à Most Wanted Men, une peinture murale réalisée par PIERRE BISMUTH en 2006, accumulation de noms tagués sur le mur d'exposition, chacun dans une couleur différente. Si, chez Andy WARHOL, les "most wanted men" désignaient les criminels les plus recherchés des États-Unis, ils deviennent chez PIERRE BISMUTH les artistes les plus cotés du marché de l'art actuel. En combinant la fascination du public pour les célébrités et la forme du graffiti, cette œuvre met à jour l'importance de la signature de l'artiste dans la construction de la valeur artistique. De cette peinture éphémère, il reste la collection de bombes étiquetées avec chacun des noms d'artistes et six grands dessins préparatoires, qui en constituent en quelque sorte les restes.

À la même époque, PIERRE BISMUTH tague également ces noms d'artistes célèbres (Paul MCCARTHY, Santiago SIERRA, Mike KELLEY etc.) dans les rues de Bruxelles et, à la manière des tagueurs, immortalise le tout par la photographie.

Le geste d'exposer, non pas l'œuvre, mais ce qui en reste, est au cœur de la série des Left Over. Les deux mots anglais ("les restes") sont découpés dans du papier à motif et placés sur fond blanc, en regard du papier à motif évidé. À première vue tautologique, cet assemblage introduit le doute sur ce qui est désigné comme chute, et, par conséquent, ce qui constitue l'œuvre. PIERRE BISMUTH joue ici sur les mots par l'emploi d'une technique élémentaire, le découpage sur papier, dans laquelle le vide est employé comme une matière.

Le Collage with Marcel recourt lui aussi à cette technique délicate, afin de recouvrir d'un papier blanc le corps nu d'Ève BABITZ, la jeune femme jouant aux échecs avec Marcel DUCHAMP sur la célèbre photographie prise à Pasadena en 1963. Intervenant sur une œuvre emblématique d'une certaine liberté artistique et érotique, à la manière d'un censeur cherchant à "rhabiller" le modèle nu de l'artiste, PIERRE BISMUTH introduit un renversement des rôles et dirige l'attention sur des aspects moins connus de cette photographie.

La série des Unfolded Origami repose sur une absence. Des pliages sont réalisés à partir de posters, puis présentés dépliés ; seul le titre renvoie à la forme que prenait l'ensemble (papillon, pigeon), et dont les traces de pliure demeurent sur le papier. De même, pour Pop Culture l'artiste vient biffer les paroles d'une chanson pop mondialement célèbre sur sa partition. Cryptée pour tout non-musicien, dépouillée de sa popularité et par là-même de son pouvoir, cette icône de la culture populaire se tient face au spectateur dans une forme de mutisme.

C'est également en négatif que l'artiste s'adresse à son destinataire avec la série des Signed anonymous letters to be sent to someone I don't know. L'œuvre consiste en une fausse lettre anonyme (car signée du nom de l'artiste) composée de lettres découpées dans des journaux, s'adressant à un destinataire inconnu choisi au hasard dans l'annuaire. En déclarant "je ne sais pas qui vous êtes", PIERRE BISMUTH renverse la relation instaurée habituellement par une lettre anonyme, dans laquelle l'expéditeur en sait plus que son destinataire, et s'amuse de la situation créée par ce geste étrange.

Dédoublement et duplication sont à l'origine de la série des Symétries symétriques, qui prend pour point de départ plusieurs monuments de Sofia datant de la première moitié du XXème siècle, dont l'architecture observe une symétrie presque parfaite. L'artiste crée, à partir d'une photographie prise de manière frontale, deux images dont chaque moitié est l'exact symétrique de l'autre. Poussant l'obsession néoclassique pour la symétrie à son point le plus extrême, ce geste rend alors visible tout ce qui refuse de se plier à l'exigence des architectes : végétation, jets d'eau, passants, qui révèlent l'artificialité de l'image créée.

La série des Newspaper recourt elle aussi au geste de dupliquer une image : par collage, PIERRE BISMUTH ajoute un double à l'image en couverture de grands journaux d'actualités. Renvoyant le spectateur à son statut d'image reproductible, l'image de presse perd alors de sa force de conviction. Quant au dessin I Agree – The Idea of Cloning Humans is Disgusting, il évoque un fait d'actualité témoignant d'une logique de reproductibilité appliquée au vivant : au moment de la naissance de Dolly, le premier mouton cloné à partir d'un mouton vivant, le New Yorker publie cette petite caricature inversant les rôles entre hommes et animaux. PIERRE BISMUTH utilise cette image comme un motif répétitif de papier peint, reproduit à la main, mais potentiellement à l'infini.

Avec les Location Pieces, PIERRE BISMUTH recourt à l'enseigne au néon et sa faculté à lier un discours à un lieu. Prenant l'objet au sens littéral, il lui donne pour mission de n'indiquer que sa propre position et celle du cadre accroché à côté de lui. Quant au néon Quelque chose pour eux qui ne peut être compris que par vous, destiné à être accroché en vitrine, il joue également sur l'ambiguïté de sa localisation : installé à l'intérieur d'un espace, il s'adresse à ceux qui sont à l'extérieur. La carte postale I Was Not There, collaboration avec l'artiste britannique Jonathan MONK, indique elle aussi, sur la façade d'une résidence en bord de mer, un appartement où l'artiste ne s'est pas rendu.