Étienne Chambaud, Julian Charrière, Ayan Farah
31/01/2014 > 07/03/2014

Vernissage le 31/01/2014, de 19h à 21h

L'image dans le tapis (The Figure in the Carpet), nouvelle de Henry JAMES parue en 1896, met en scène la quête désespérée d'un critique d'art pour le sens caché de l'œuvre de l'écrivain fictionnel Hugh VEREKER. Comparant son œuvre à la surface complexe d'un ancien tapis persan, ce dernier confie un jour au jeune critique que personne n'a jamais su y voir ce qu'il y avait caché : un "petit secret", un motif se dégageant de l'ensemble et perceptible uniquement par l'observateur le plus attentif. L'écrivain meurt peu de temps après cette révélation, laissant le critique blessé dans son orgueil et rongé de curiosité. La recherche de ce motif caché devient alors une obsession, qui engagera sa vie entière, compromettra son mariage sans jamais lui permettre de lever le secret. Métaphore du sens de l'art, ce récit met en avant son caractère mystérieux, sublime, mais également incommunicable – les personnages de la nouvelle ne parviennent jamais à se transmettre le secret.

Les œuvres de cette exposition proposent des surfaces étranges, mystérieuses, au sein desquelles l'œil se perd à la recherche d'un motif. Les formes complexes qui se dessinent à leur surface résultent de procédés expérimentaux engageant des éléments naturels comme l'exposition au soleil, la décomposition ou l'oxydation, plaçant ses œuvres en rapport direct avec les forces brutes de la nature. Leur aspect demeure celui d'objets d'art dont elles reprennent les éléments les plus traditionnels (toile, châssis, pigments, plâtre), mais elles explorent la limite de ce que peut constituer une œuvre en introduisant une composante vivante à leur processus de production : les matériaux dont elles sont faites portent la trace d'un contact direct avec des substances organiques et animales. Si elles présentent principalement une surface colorée et complexe qui les inscrit dans l'héritage de la peinture abstraite, l'artiste, lui, sait de quels genres de pratiques d'alchimistes contemporains elles résultent.

La série Nameless d'ÉTIENNE CHAMBAUD (né en 1980, vit et travaille à Paris) s'impose ainsi comme une référence directe au geste provocateur d'Andy WARHOL urinant sur sa toile (Oxidation Paintings, 1978), et décline la forme traditionnelle du tableau. Mais le produit qui les a imprégnées (l'urine de différents animaux) projette ces œuvres dans une relation avec l'histoire de la présence animale dans des institutions de conservation que sont les musées et les jardins zoologiques. Sur une préparation de cuivre ou de bronze fixée sur lin par un vernis, l'artiste a versé aléatoirement des urines animales (loup, zèbre, ours, lama, écureuil, coyote, cerf, puma, lynx, etc.), qui altèrent par oxydation leur fond monochrome. Elles s'imposent à l'esprit humain comme une image anamorphique, proche par leurs formes des tâches d'encres du test de Rorschach. Mais par leur capacité à attirer ou à repousser les membres du monde animal, elles parlent de fait un langage que le musée ne peut pas comprendre, mais qui est compris au-delà de ses murs.

Les grands tissus tendus sur châssis d'AYAN FARAH (née en 1978, vit et travaille à Londres) résultent de longs processus de transformation et de décantation, dont ils gardent les traces dans leur matière même. Enfouis sous terre, exposés au soleil, au vent et à la pluie, leurs couleurs se sont fanées ou révélées. Ces tissus prélevés dans l'environnement quotidien de l'artiste (issus de la literie ou de l'habillement) jouent de leur légère transparence qui révèle le châssis qui les soutient. Par leurs subtils dégradés de noirs et blancs, rehaussés parfois à l'acrylique ou à d'autres techniques de coloration moins traditionnelles (vinaigre, cendre, sel de mer...), ils ressemblent à ces pierres que l'on expose en Chine pour leurs marbrures et qui, parfois, prennent la forme d'un paysage.

JULIAN CHARRIÈRE (né en 1987, vit et travaille à Berlin), avec les trois œuvres de la série Somehow they never stop doing what they always did, invente des structures dont la surface se recouvre progressivement de motifs organiques par décomposition. Dans trois vitrines d'acier et de verre, il dispose des briquettes de plâtre conçues par mélange de différents ingrédients comme le fructose et le lactose. L'artiste humidifie l'ensemble avec l'eau de grands fleuves internationaux (la Saône, le Nil, le YangTse, l'Euphrate, etc.), dont les bactéries se développent progressivement en milieu confiné. Œuvres évolutives et vivantes, fabriquées avec des éléments venus du monde entier, ces constructions évoquent des archétypes architecturaux millénaires ou mythologiques comme la Tour de Babel et, par leur dégradation rapide, semblent effectivement appartenir à l'histoire. L'ensemble de 10 photographies Digesting Geometry documente une performance réalisée par JULIAN CHARRIÈRE dans différentes villes du monde dont le principe est d'amener des pigeons à réaliser une œuvre à leur insu : à l'aide de graines, l'artiste les regroupe en formes géométriques et vient plaquer, le temps d'une photo, une organisation rationnelle au sein du désordre du vivant.